Qualité douteuse des brevets logiciels

Or, comme nous l'avons déjà abordé dans la première partie de cet article, on estime que 90% des brevets déposés à l'office américain (USPTO) seraient invalides par défaut de nouveauté ou d'inventivité. Il faut ici rappeler la définition de ces deux critères. Dans le droit positif partout dans le monde, à quelques nuances terminologiques près, ils sont discriminatoires pour l'attribution d'un brevet sur une invention8.

La Convention sur le Brevet Européen définit la nouveauté ainsi, dans son Article 54 :

« Une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique. L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public - toute personne non tenue par contrat à la confidentialité - avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. »
L'inventivité est quant à elle définie par l'Article 56 :
« Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d'une manière évidente de l'état de la technique. »
Le brevet communément appelé One-click, déposé par Amazon.com et accepté en 1998 est symptomatique du non respect de ces critères. Il consiste à retenir les coordonnées postales et bancaires d'un client lors de l'achat d'un livre ou d'un autre produit culturel vendu « en ligne », pour que lors de son prochain achat, le client n'ait pas à saisir à nouveau ces informations. Cette méthode de vente est appliquée depuis l'aube des temps par bien des libraires traditionnels qui notent manuellement sur des fiches, l'adresse de leurs clients réguliers. Techniquement la solution mise en œuvre par Amazon.com consiste à stocker sur l'ordinateur du client un identifiant lors de sa première connexion. Cet identifiant sera ensuite relu de manière à reconnaître l'identité du client lors de ses connexions ultérieures et ainsi retrouver ses coordonnées. Cette technique repose ainsi sur l'utilisation de ce qu'on appelle un « cookie », technique connue depuis au moins 1997 (cf. spécifications des cookies http://www.ietf.org/rfc/rfc2109.txt?number=2109).

Ainsi Amazon.com a pu déposer un brevet logiciel sur un procédé commercial qui était déjà connu et dont la seule inventivité résiderait dans son implémentation informatique et son emploi à travers le réseau Internet. Mais même la technique informatique utilisée faisait déjà partie de l'état de l'art. Ce brevet a été exploité par le libraire en ligne Amazon.com pour attaquer devant les tribunaux son plus sérieux concurrent direct, Barnes & Nobles. Une première décision de justice favorable à Amazon.com a permis à ce dernier de se constituer un avantage concurrentiel notable durant la période de commandes particulièrement accrue des fêtes de fin d'année en 1999, ceci avant que la Cours d'Appel de l'État de Washington à Seattle n'invalide ce brevet en 2001.

De telles anomalies peuvent en partie être expliquées de par le fait que les offices de brevets sont confrontés à une recherche en antériorité ardue, voire impossible, en matière de logiciel. Il n'existe en effet aucune base de données documentaire pour les logiciels comme c'est le cas pour d'autres sciences, telle que la chimie par exemple, où les inventeurs consignent soigneusement leurs procédés expérimentaux. Il n'existe non plus aucune possibilité d'accès au code source fermé des logiciels propriétaires. Et ceci est encouragé par le système de brevets : la découverte de l'imitation d'un procédé logiciel est en effet facilitée si l'on peut consulter son code source, le code source étant assimilable à une partition en musique ou à une recette en cuisine, indiquant dans un langage compréhensible par un être humain, les étapes à suivre pour parvenir à un résultat. Ceci est d'ailleurs à l'origine de la crainte des développeurs de logiciels libres face au système de brevets logiciels. Tout logiciel libre étant diffusé avec son code source, il est à craindre que les détenteurs de brevets profitent de cet accès pour interdire l'utilisation de logiciels libres.

Mais le code source étant une description algorithmique, mathématique, des fonctionnalités remplies par un logiciel, la compréhension de l'effet produit par ces fonctionnalités n'est toutefois pas évidente. Plus encore, ce qui gêne la recherche en antériorité pour un brevet logiciel réside dans le fait que les examinateurs ont rarement accès aux manuels et documentations qui , eux, décrivent de manière textuelle - presque littéraire parfois - les fonctions d'un logiciel. Là encore, il faut noter que les concepteurs de logiciels libres partent avec un handicap, puisqu'ils encouragent la publication d'une documentation libre accompagnant leurs logiciels.

Ainsi, la qualité douteuse des brevets logiciels existants diminue très fortement la valeur qu'on peut leur accorder pour mesurer les actifs immatériels d'une entreprise (cf. "Too many patents are just as bad for society as too few", article de Gary L. Reback, paru dans Forbes, le 24 juin 2002 http://www.forbes.com/asap/2002/0624/044.html).

Ceci revient à posséder de l'argent dans une monnaie qui n'a plus cours, on est ainsi en possession d'un moyen d'échange, mais ce moyen s'avère uniquement théorique, puisque la monnaie n'a plus de valeur.

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