Au sein d'un système biaisé

Mais si certains avancent qu'une augmentation des moyens accordés aux offices de brevets pour effectuer leur examen pourrait restaurer la valeur accordée aux brevets logiciels, cela s'avère largement insuffisant. En effet des changements structurels profonds dans le système de brevets seraient également indispensables pour que le brevet soit réellement un instrument pour mesurer la valeur des entreprises et leur capacité à innover.

Alors que les brevets ont été initialement instaurés dans les industries traditionnelles pour que la société dans son ensemble bénéficie des innovations entreprises par les industriels, de nos jours, et particulièrement dans le domaine des logiciels, la politique des offices de brevets est dictée par les gros industriels ou les experts en « propriété intellectuelle », c'est-à-dire des lobbies, qui défendent des intérêts qui - c'est un euphémisme - ne correspondent pas forcément à ceux de la collectivité.

Cet état de fait est même dicté par les lois régissant l'activité des offices de brevets. Ainsi l'USPTO Corporate Plan de 2000 notait que « la première mission de l'industrie du brevet est d'aider les clients à obtenir des brevets ». En France, l'article L411-1 CPI stipule que « l'une des tâches de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) est de prendre toute initiative en vue d'une adaptation permanente du droit national et international aux besoins des innovateurs et des entreprises. »

Cette pression exercée par les lobbies représentant de grosses entreprises sur les offices a été récemment mise en évidence lorsque l'analyse du texte, présenté à la Commission Européenne et visant à un élargissement des brevets notamment aux logiciels, a montré que ce texte s'inspirait très largement d'un rapport produit par la BSA, la Business Software Alliance, consortium regroupant les plus gros éditeurs de logiciels9.

D'autre part les offices de brevets reçoivent directement des États, qui sont sensés diriger leur politique, des incitations à accepter toujours plus de demandes, au détriment des critères qualitatifs définissant si une invention peut être brevetée. L'article L411-2 CPI précise ainsi que « les recettes [de l'INPI] doivent obligatoirement équilibrer toutes les charges de l'établissement ». Lorsque l'on considère le tableau suivant, on comprend aisément pourquoi il est plus « rentable » pour un office de brevets d'accepter une demande de brevet que de la refuser :

  Brevet accepté Brevet refusé
(en ) Recettes Charges Recettes Charges
Dépôt +38   +38  
Rapport d'inventivité +320 -1830 +320 -1830
Obtention +85      
Taxes années 2 à 5 +25      
Taxes années 6 à 10 +135      
Taxes années 11 à 15 +270      
Taxes années 16 à 20 +530      
Total +3388 -1472

 

Il faut enfin savoir que le cursus professionnel standard d'un inspecteur consiste à quitter l'office après quelques années de service pour un grand cabinet de conseil en propriété industrielle. Dans ces conditions, quelle motivation pourrait avoir un examinateur d'un office pour refuser l'obtention d'un brevet à un grand éditeur dont il sera peut-être lui-même le conseiller dans l'avenir ? Quand bien même les revendications ne correspondraient pas aux critères de nouveauté ou d'inventivité et quand bien même ce non respect pourrait être découvert par un accès quelconque aux connaissances disponibles dans l'état de l'art du logiciel, il est quasiment certain que la demande de brevet sera acceptée.

Copyright © 2004 Gérald Sédrati-Dinet - Cet article est sous licence Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike. Pour obtenir une copie de cette licence, voir http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/1.0/ ou envoyer une lettre à Creative Commons, 559 Nathan Abbott Way, Stanford, California 94305, USA.

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